Le Cameroun, Futur Géant du Cacao


Chocolats du Monde revient de son premier voyage au Cameroun, où Sacha est parti à la découverte des producteurs de la région du Centre. Durant ce voyage, nous avons cherché à comprendre les défis et les opportunités auxquels ce nouveau géant du cacao est confronté.


Le Cameroun et le Cacao

Le Cameroun est devenu le quatrième producteur mondial de cacao en franchissant la barre des 266'725 tonnes lors de la campagne 2023-2024, enregistrant ainsi une légère hausse de 1,17 % par rapport à l’année précédente. Cette croissance, bien que modeste, reflète une filière en constante mutation, tiraillée entre traditions agricoles ancestrales et exigences des marchés internationaux. Cependant, ce qui caractérise particulièrement cette saison, c’est la hausse record des prix. Sur ce marché libéralisé, qui suit les fluctuations de la bourse de Londres, cette augmentation a suscité un regain d’intérêt pour la cacaoculture. Ce phénomène pourrait potentiellement bouleverser le marché du cacao africain et déclencher un engouement massif pour cette culture, autrefois peu attractive pour la jeunesse.

 

Exportateur, chargement du cacao pour exportation - Obala

 

Les Particularités du Marché du Cacao Camerounais

Le marché du cacao camerounais a subi de grandes transformations qui ont profondément modifié son fonctionnement. La libéralisation des cours en 1994, auparavant fixés par l’État, a été imposée par les programmes d’ajustement structurel du FMI et de la Banque mondiale. Cette décision a bouleversé l’équilibre du secteur. Autrefois, comme en Côte d’Ivoire et au Ghana, les prix étaient régulés par l’État. Mais sous la pression économique et l’effondrement des cours du cacao, le gouvernement a dû se retirer de la filière, transformant chaque producteur en entrepreneur, là où auparavant ils dépendaient d’unions agricoles contrôlées par des politiques étatiques.

Cette ouverture a permis à des acteurs privés comme Telcar Cocoa Ltd, Olam Cam, et Ecom Trading de prendre des positions dominantes dans l’exportation, créant un quasi-oligopole. De plus, elle a exposé les petits producteurs à la volatilité des prix mondiaux. Ce changement brutal a rendu la filière beaucoup plus risquée et instable. Les banques et les exportateurs, auparavant prompts à offrir des préfinancements garantis par l’État, sont aujourd’hui plus réticents, laissant les agriculteurs endosser les risques ou dépendre de systèmes informels non régulés pour écouler rapidement leur cacao.


Cacaoyer Forastero Amelonado - Biakoa

 

Un Contexte de Plus en Plus Dérégulé

Dans ce nouveau contexte, ce ne sont pas seulement les producteurs qui se retrouvent fragilisés. Les coopératives, bien que présentes, peinent à jouer pleinement leur rôle. Faiblement structurées et souvent mal gérées, elles se voient concurrencées par les “coaxers”, ces acteurs informels qui, financés par leurs propres fonds ou par les exportateurs, achètent le cacao sans se soucier des règles régulées par l’État. Aujourd’hui, il est estimé que les coaxers dominent près de 80 % du marché.

Offrant des paiements immédiats en espèces, ils attirent les producteurs grâce à des liquidités rapides dans les communautés reculées. Cependant, il est souvent rapporté que les coaxers utilisent des pratiques douteuses, comme des balances truquées pour acheter le cacao au plus bas prix. Ce réseau informel, bien qu’indispensable à la survie de nombreux paysans, fragilise la traçabilité et la qualité du cacao camerounais.

Le gouvernement, via l’Office National du Cacao et du Café (ONCC) et le Conseil Interprofessionnel du Cacao et du Café (CICC), tente de réguler le secteur. Fixation des prix à la ferme, contrôle des exportations et promotion à l’international sont autant de missions confiées à ces institutions. Cependant, le manque de coordination entre les ministères du Commerce et de l’Agriculture, couplé à une gouvernance parfois opaque, freine les initiatives.


Coopérative, chargement du cacao pour exportation - Batchenga

 

Le Cameroun face aux Réglementations de l’Union Européenne

Les réglementations européennes récentes sur la déforestation, exigeant une traçabilité stricte des produits agricoles, posent un nouveau défi. En raison du modèle des coaxers, il est très complexe de pouvoir entrer en contact avec les producteurs pour collecter les polygones (tracés GPS des parcelles) nécessaires à la validation du RDUE lors des exportations. Le Cameroun doit prouver que son cacao n’est pas issu de zones déboisées après 2020.

En réponse à cela, plusieurs branches de l’État ont lancé des projets de cartographie précise des parcelles (comme le FODEC - Guichet Producteur ou le Cadastre Agricole avec le CICC), mais ces initiatives peinent à se développer. Actuellement, la collecte des polygones semble être pilotée par le secteur privé à travers les exportateurs, ce qui pourrait être problématique pour les cacaoculteurs, qui deviennent ainsi dépendants de ces derniers pour vendre leur cacao.


Le Futur du Cacao en Afrique Centrale

Malgré ces embûches, l’avenir de la filière cacao camerounaise semble prometteur. Le pays mise sur la transformation locale pour créer de la valeur ajoutée et diversifier ses revenus (avec des initiatives comme Neo Industry). Le beurre et la pâte de cacao, produits sur place, commencent à conquérir les marchés régionaux et internationaux, offrant ainsi de nouvelles perspectives aux producteurs. Cependant, ces initiatives restent fragiles et menacées par des intérêts privés et la corruption.

Le réel avantage du Cameroun réside dans ses terres. Le pays bénéficie d’un terroir richement boisé et de terres fertiles propices à la production de cacao. Les régions équatoriales abritent actuellement de nombreuses fermes en agroforesterie, ce qui permettra, à l’inverse du Ghana et de la Côte d’Ivoire, une intensification durable de la production, si ce modèle est protégé et promu.

 

 

Cacaoyer trinitario - Endom

 

Le Cameroun : Entre Industrie et Chocolats Aromatiques

Avec l’évolution des marchés, et surtout la croissance exponentielle de la demande, qui a propulsé les cours du cacao à des records jamais atteints, la direction choisie par le pays reste incertaine. Le Cameroun pourrait suivre la voie de Madagascar et de l’Ouganda, qui misent sur une production de qualité, en petite quantité, destinée aux marchés des chocolats aromatiques à des prix plus élevés. À l’inverse, il pourrait opter pour une production industrielle, comme ses voisins de l’Ouest, cherchant à fournir l’industrie mondiale.

Le Cameroun semble pour l’instant pencher vers la seconde option, avec un cacao de qualité moyenne produit en quantités importantes. Cette stratégie est risquée : en cas de chute des cours, elle empêche les producteurs de trouver des débouchés alternatifs, mettant en péril des régions entières.

 

Caisse de fermentation centralisée - Ayos

Cependant, le cacao aromatique existe déjà dans le pays. Nous avons eu la chance de rencontrer un centre d’excellence du cacao, dirigé par Sébastien Mveng, médaillé en 2024 pour son cacao aux arômes uniques. Aujourd’hui, sa fève est prisée par de nombreux chocolatiers artisanaux.

Petite aparté gustative sur ce cacao produit par la coopérative Umoprocaoe à Ayos. Un cacao amer et intense, aux notes cacaotées prononcées, avec une puissance truffée, accompagnée de touches végétales et boisées.

 

Cacao excellence Award a Chocoa - Amsterdam

 

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